Valeur forte du cinéma contemporain, Joachim Lafosse voit sa carrière monter en puissance de film en film, comme en témoignent la reconnaissance nationale et internationale obtenue par son dernier opus, A PERDRE LA RAISON (sélection à Un certain regard, où Emilie Dequenne remporte le Prix d’interprétation féminine, et grand lauréat des Magritte du cinéma). Adepte de sujets forts, sa filmographie est peuplée de personnages monstrueux dont il cherche à comprendre les motivations, car c’est bien connu : la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions.
La filmographie de Joachim Lafosse, déjà dense, témoigne d’une volonté affirmée de se frotter à des sujets âpres et complexes, que d’aucuns jugent tabous, pour les rendre plus accessibles grâce au medium cinématographique. La route de l’enfer est pavée de bonnes intentions : au cœur de ses films se succèdent des personnages souvent psychotiques, qui partant pour faire le bien, sèment les graines du mal. Tout est question de limites, ou plutôt, de leur absence. Le père de FOLIE PRIVEE ne parvient pas à se défaire du lien qui l’aimante à sa famille, de même que les frères de NUE PROPRIETE. Incapables d’assumer l’autonomie qui leur est imposée, leur amour se fait violence. Comme plus tard A PERDRE LA RAISON, FOLIE PRIVEE et NUE PROPRIETE mettent en scène des monstres, au sens littéral du terme, non pas tant pour expliquer leurs actes que ce qui a pu les amenés à les commettre. Comment ces hommes et ces femmes, semblables à nous, et surtout, animés de bonnes intentions, transgressent nos limites, des limites qui leur font défaut.
On retrouve cette notion de limites dans toute l’œuvre de Lafosse, et en particulier dans ELEVE LIBRE. Lafosse y sort du cercle familial, pour s’intéresser aux questions de la transmission et de l’éducation. Sans concession, il crée le malaise chez le spectateur, poussé à se demander où est et d’où vient le mal. Son cinéma en appelle non pas à la foi du spectateur, mais à sa vigilance. Un cinéma rarement confortable, qui soulève des questions morales, et pousse le spectateur à s’interroger sur ses propres limites.
Après A PERDRE LA RAISON, inspiré par l’incrédulité suscitée par le geste incroyable de Geneviève Lermitte, mère infanticide, Lafosse s’est à nouveau inspiré d’un fait divers littéralement incroyable. Avec LES CHEVALIERS BLANCS, qui devrait sortir à l’automne 2015, il sort du cadre familial en livrant une relecture de l’affaire de l’Arche de Zoé, le scandale de ces travailleurs humanitaires qui tentèrent d’extraire des dizaines d’orphelins du Darfour, pour les confier à des familles françaises. Abordant frontalement un drame qui a fait l’actualité durant plusieurs semaines en Belgique comme en France, LES CHEVALIERS BLANCS, servi par un prestigieux casting (Vincent Lindon, Valérie Donzelli, Louise Bourgoin, Reda Kateb), traite d’un sujet une fois de plus complexe, mais qui devrait parler à un grand public : les limites et les difficultés de l’action humanitaire.
Lafosse enchainera rapidement sur un nouveau projet, puisqu’il tournera dès le mois de juin L’ECONOMIE DU COUPLE. Avec ce film, il s’empare pour la première d’un projet dont il n’est pas à l’origine, puisque le scénario a été écrit à la base par Mazarine Pingeot et Fanny Burdino. Huis clos sur l’amour, la fin de l’amour et la séparation, centré sur un lieu et deux personnages, L’ECONOMIE DU COUPLE réunira pour près d’un mois de tournage Bérénice Bejo et Cédric Khan dans le décor confiné d’un appartement bruxellois.
(Texte : A.E.)